Deux rapports majeurs publiés en application de l’article L.337-9 du code de l’énergie, le 19 décembre 2024, par la Commission de Régulation de l’Énergie (« la CRE ») et l’Autorité de la Concurrence (« l’Autorité »), abordent des enjeux cruciaux pour l’avenir du marché français de la vente au détail de l’électricité, en particulier concernant les Tarifs Réglementés de Vente (« TRV ») et leurs impacts sur la concurrence et l’innovation, à l’aune de la disparition programmée du dispositif de  L’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (« l’ARENH »).

Ces deux rapports font apparaître une divergence de points de vue entre la CRE et l’Autorité de la concurrence, la CRE plaidant pour un maintien des TRVE pendant les 5 années à venir tandis que l’Autorité recommande de les supprimer de manière progressive.

 

TRVE : Quels impacts sur l’innovation et la concurrence ?

Si les deux rapports reconnaissent le rôle structurant des TRVE au sein du marché de détail, leurs conclusions diffèrent sur leur impact.

De son côté, la CRE met en avant la capacité des TRVE à protéger les consommateurs des fluctuations des prix grâce au lissage des coûts sur deux ans (augmentation moyenne de 20 % contre des hausses supérieures à 50 % pour certaines offres indexées sur le marché), une caractéristique rassurante pour les consommateurs d’électricité. Actuellement, 59 % des clients résidentiels et 35% des petits consommateurs non-résidentiels recourent aux TRVE. La CRE considère en outre qu’ils permettent la construction d’options tarifaires simples et réplicables par les fournisseurs alternatifs (méthode de calcul fondée sur l’empilement des coûts). Si elle reconnaît que les TRVE peuvent être à l’origine d’un certain immobilisme des clients qui hésitent à quitter ces offres malgré l’attractivité des alternatives (-63 000 clients/mois d’abonnés TRV contre -122 000 clients/mois avant la crise), elle estime que leur suppression ne saurait lever tous les freins à l’innovation.

Selon la CRE, le bilan penche donc en faveur des TRVE.

A l’inverse, l’Autorité critique le mécanisme des TRVE. Elle estime d’abord qu’il existe d’autres moyens de protéger les consommateurs en période de crise tout en soulignant que les TRVE ne constituent « ni un prix bas ni un prix fixe ». Elle estime que les TRVE entravent la dynamique concurrentielle et retardent l’émergence d’offres innovantes adaptées aux défis de la transition énergétique. En effet, en captant une grande part du marché, les TRVE limitent l’attrait des fournisseurs alternatifs pour proposer des solutions innovantes et renforcent le rôle du monopole historique.  Elle ajoute que les TRVE « brouillent le signal prix » indispensable pour encourager une gestion plus rationnelle de la consommation.

L’Autorité estime nécessaire de préparer la suppression des TRVE, dont elle rappelle par ailleurs le caractère non-conforme à la directive n°2019/944 qui autorise une intervention publique dans la fixation des prix de manière transitoire uniquement.

 

31 décembre 2025 : la fin de l’ARENH, un tournant stratégique

La fin programmée de L’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (« l’ARENH ») constitue un point de divergence clé. Pour la CRE, cette échéance renforce l’urgence de conserver les TRVE afin d’éviter des perturbations majeures dans un marché déjà fragilisé. À l’opposé, l’Autorité y voit une opportunité de réforme profonde et appelle à leur suppression progressive, tout en mettant en place des mécanismes ciblés comme des subventions directes, des chèques énergie renforcés pour les ménages vulnérables ou encore la désignation d’un (ou plusieurs) fournisseur(s) de dernier recours.

Cette position s’inscrit dans une volonté d’une part d’accélérer la transition vers un marché plus compétitif et moins dépendant des interventions publiques et, d’autre part, de se conformer au droit de l’Union européenne (Directive (UE) 2019/944 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité qui pose le principe de la libre fixation des prix de détail de l’électricité).

 

Recommandations clés pour l’avenir des TRV

Recommandations de la CRE :

  1. Maintien des TRVE pour les cinq prochaines années, pour assurer une stabilité tarifaire dans un contexte de fin de l’ARENH, garantissant ainsi la protection des consommateurs vulnérables ;
  2. Développement de l’option Tempo et HP/HC pour encourager la flexibilité, mieux ajuster la consommation et contribuer à la sécurité d’approvisionnement ;
  3. Amélioration de la transparence et de la lisibilité des offres des fournisseurs historiques afin d’éviter toute confusion chez les consommateurs entre leurs offres aux TRVE et leurs offres de marché. Proposition de renforcement des pouvoirs d’enquête de la CRE et des sanctions.
  4. Limitation des retours aux TRVE des « gros » consommateurs ayant quitté les TRVE afin d’éviter des allers-retours entre TRVE et prix de marché qui seraient préjudiciables aux fournisseurs en l’absence d’indemnité de résiliation anticipée.

Recommandations de l’Autorité :

  1. Suppression progressive des TRVE, afin de libérer la concurrence sur le marché de détail de l’électricité ;
  2. Désignation d’un ou plusieurs fournisseurs de dernier recours ;
  3. Mise en place de dispositifs de compensation pour les consommateurs vulnérables, comme les chèques énergie ou les fournisseurs de dernier recours, afin de faciliter la transition et garantir l’accès à des prix compétitifs pour ces segments ;
  4. Développement du comparateur du Médiateur de l’énergie ;
  5. Encouragement de l’innovation tarifaire par les fournisseurs, notamment par le fait d’autoriser, sous conditions, des offres assorties d’une indemnité de résiliation anticipée, limitant ainsi le risque pour les fournisseurs ;
  6. Dans le cadre d’un maintien des TRVE, l’Autorité suggère de permettre aux fournisseurs alternatifs de distribuer des TRVE et de mieux encadrer les activités de fourniture d’EDF afin que ses offres distinguent clairement les offres aux TRVE des offres de marché afin de garantir une concurrence loyale entre les différents fournisseurs.

L’Autorité préconise en tout état de cause de limiter les interventions publiques en matière de tarification, lesquelles doivent garder un caractère transitoire en cas de crise énergétique et de poursuivre une réflexion sur la question des « signaux prix » qui favorise la transition écologique. En vertu de l’article L.337-9 du code de l’énergie, les ministres de l’économie et de l’énergie devront, analyser les rapports de la CRE et de l’Autorité. Ils définiront ensuite leur position dans un nouveau rapport qu’ils soumettront à la Commission européenne, au plus tard le 1er janvier 2025, concernant la mise en œuvre des TRVE pour l’avenir. Les prises de position et les décisions politiques qui seront prises au cours des prochains mois façonneront le paysage énergétique français pour les années à venir et auront bien entendu un impact fort sur la stratégie à adopter pour les fournisseurs alternatifs sur le marché de la vente au détail de l’électricité.

Pôle Concurrence Régulation Conformité.

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