Le 25 novembre 2020, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision qui marque un changement majeur dans sa pratique décisionnelle (1).

 

Au mois de mai 2019, l’Autorité de la concurrence s’était saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des marchés de fourniture de produits alimentaires de l’établissement public national France AgriMer.

 

L’Autorité reprochait aux quatre sociétés mises en causes d’avoir présenté des offres en apparence indépendantes mais qui, en réalité, avaient été préparées de façon concertée. Les quatre mises en cause avaient conclu un accord qui prévoyait qu’une seule d’entre elles :

  • préparait les réponses aux appels d’offres pour l’ensemble des entités du groupe et ;
  • centralisait tous les achats de produits qu’elle revendait ensuite à chacune des entités soumissionnaires.

 

Chacune des soumissionnaires était tenue à une obligation de confidentialité vis-à-vis de l’adjudicateur pour qui ce schéma était opaque. En pratique, France AgriMer a donc reçu plusieurs offres distinctes de chacune des entités du groupe, ces offres étant présentées comme indépendantes.

 

En l’état de sa pratique décisionnelle antérieure, l’Autorité sanctionnait cette pratique dont l’objectif était notamment de contourner les limites de nombre de lots par entreprise présentes dans certains appels d’offres. Les entités d’un même groupe devaient impérativement faire preuve de transparence vis-à-vis de l’adjudicateur en décidant de présenter :

 

  1. soit une offre commune. Dans ce cas, les entités d’un même groupe agissaient comme une seule entreprise vis-à-vis du client final et pouvaient naturellement se concerter pour préparer la réponse unique à l’appel d’offres ;

 

  1. soit de présenter des offres distinctes et réellement indépendantes. Dans ce cas, les différentes entités soumissionnaires devaient s’interdire d’échanger des informations entre elles. L’Autorité et la Cour d’appel de Paris considéraient qu’en soumissionnant séparément, les différentes entités manifestaient leur autonomie commerciale et agissaient ainsi comme des entreprises concurrentes.

 

Ainsi, l’Autorité sanctionnait-elle uniquement le fait de présenter des offres faussement indépendantes.

 

Le 17 mai 2018, la Cour de justice de l’Union Européenne a jugé que le droit communautaire des ententes ne s’appliquait pas aux soumissionnaires formant une unité économique (2).

 

Tel était le cas des quatre sociétés poursuivies par l’Autorité. L’Autorité en tire les conséquences en renonçant à prononcer une sanction à leur encontre.

 

Fait rare, alors que les quatre sociétés mises en cause avaient sollicité le bénéfice de la procédure de transaction, l’Autorité relève, de sa propre initiative, que les conditions pour prononcer une sanction ne sont pas réunies au regard de l’évolution de la jurisprudence européenne.

 

Ainsi, désormais, les entités d’un même groupe n’ont plus à être transparentes vis-à-vis de l’adjudicateur et peuvent se concerter avant de soumissionner de façon indépendante.

 

Bien que la portée de cette décision semble limitée aux ententes de dimension européenne (i.e. celles qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres), l’Autorité devrait adopter la même position pour les ententes de dimension nationale en s’inspirant de la jurisprudence européenne.

 

Cette règle ne vaut toutefois pas pour les filiales autonomes. S’il existe une présomption selon laquelle une société mère exerce une influence déterminante sur ses filiales, cette présomption peut être renversée. Si l’Autorité parvient à démontrer que plusieurs filiales déterminent, en pratique, leur comportement sur le marché de façon autonome, celles-ci pourraient théoriquement être condamnées pour s’être concertées en réponse à un appel d’offres.

 

Enfin et en toute hypothèse, les filiales d’un même groupe devront naturellement continuer de respecter le droit de la commande publique lorsqu’elles soumissionnent séparément.

 


(1)DÉCISION 20-D-19 DU 25 NOVEMBRE 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des marchés de fourniture de produits alimentaires de l’établissement public national France AgriMer

(2) CJUE, n° C-531/16

 

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