Force majeure, délais contractuels et pandémie de Covid-19

 

Cette période de pandémie constitue une crise sanitaire inédite impactant profondément l’activité économique. L’équipe spécialisée en Droit économique du Cabinet BBLM vous propose une analyse de l’actualité juridique en matière contractuelle afin d’apporter un éclairage sur certaines problématiques auxquelles vous pourriez être confrontés dans le cadre de vos contrats commerciaux.

Seront abordées successivement :

  • Les notions de force majeure et d’imprévision qui peuvent être mobilisées pour suspendre, résoudre ou modifier les conditions de l’exécution d’un contrat pendant cette période (I), ainsi que
  • Les mesures de report de l’effet de certains clauses contractuelles dites de « sanction » dans le cadre de l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 dans sa version consolidée à ce jour (II).

I. La force majeure, l’imprévision et la pandémie de Covid-19

Conditions étroites de la force majeure

  • Constitue un cas de force majeure, un évènement indépendant de la volonté du débiteur, irrésistible et imprévisible au moment de la conclusion du contrat (article 1218 du code civil).
  • Elle entraine une exonération temporaire ou définitive de l’exécution des obligations et la résolution du contrat, selon le cas.
  • De fait, la force majeure n’a jamais été reconnue à ce jour s’agissant d’évènements d’épidémie ou de pandémie puisqu’ils n’ont pas, jusqu’à aujourd’hui et en tant que tels, suffisamment sévèrement affectés les activités des acteurs économiques (ex. Grippe H1N1, SRAS, Chikungunya…).
  • Il pourrait en être différemment s’agissant du Covid-19, mais en fonction des mesures prises par le Gouvernement et des activités spécifiques de votre entreprise. L’on peut déjà noter les premières décisions prises par les juridictions, mais dans des cas particuliers de la rétention administrative ou de mesures administratives d’éloignement d’un étranger, dans le cadre desquelles les juges ont considéré que l’impossibilité d’agir résultant de la pandémie du Coronavirus constituait bien un cas de force majeure (ex. annulation des vols pour l’Italie ou fermeture des frontières).
  • La position générale prise par Bruno Lemaire en matière de marchés publics, selon laquelle l’Etat va « considérer le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises », ne lie toutefois pas les juridictions. 

Vérifier les clauses de force majeure dans vos contrats

  • En tout état de cause, il est essentiel de vérifier les termes des clauses relatives à la force majeure dans vos contrats et les conditions générales de vente ou d’achat éventuellement applicables, ainsi que la procédure à respecter, le cas échéant. En effet, les règles prévues contractuellement pourraient être plus souples que celles du droit commun, qui ne sont que supplétives.
  • Il convient de noter qu’il sera plus difficile de retenir un paiement sur le fondement de la force majeure, les juges considérant que le paiement n’est pas empêché. Pourraient néanmoins être exonérés les dommages et intérêts demandés en raison d’un retard de paiement par l’autre partie, lorsque le retard est dû à la force majeure.
  • En revanche, s’agissant plus particulièrement des baux commerciaux, une analyse au cas par cas devra être effectuée (sur le paiement des loyers des locaux professionnels, cf. la note d’actualité relative à l’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 sur notre site, rubrique Actualités).

Opportunité d’utiliser l’argument de l’imprévision

  • Dans certaines situations, il pourrait être opportun d’examiner si l’imprévision peut être plus utilement invoquée que la force majeure. En effet, ne constituent pas des cas de force majeure les circonstances difficiles qui ont rendu particulièrement onéreux mais pas impossible l’exécution de l’obligation. Dans ce cas, peut être envisagée la renégociation du contrat.
  • De la même manière, les clauses relatives à l’imprévision dans le contrat ou les CGV doivent être vérifiées avant de se prévaloir des conditions de droit commun, qui sont complexes à mettre en œuvre (article 1195 du code civil).

Vérifier votre couverture assurance

  • Enfin, même s’il s’agit d’un cas relativement limité en pratique (soit seules les pertes résultant d’un dommage matériel sont couvertes, ou encore, la pandémie peut être expressément exclue), nous vous invitons à vérifier si votre assurance couvre la pandémie et à quelles conditions.

II. Le report de l’effet de certains clauses contractuelles « sanction » pendant l’état d’urgence sanitaire

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par les ordonnances n° 2020-427 du 15 avril 2020 et n° 2020-560 du 13 mai 2020, vient reporter le terme de clauses qui sanctionnent l’inexécution du contrat et gérer les astreintes en raison de l’état d’urgence sanitaire (dont la période est aujourd’hui fixée du 12 mars au 10 juillet 2020[1], cette date de fin étant sous réserve d’une éventuelle nouvelle prorogation).

Les textes introduisent la notion de « période juridiquement protégée » correspondant à la période entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus.

Seule l’application d’une liste limitative de clauses est reportée par la règlementation actuelle, les autres dispositions du contrat devant continuer à s’appliquer.

Les clauses concernées sont :

1. Les délais des clauses de résiliation ou de dénonciation des contrats, arrivant à échéance durant la période juridiquement protégée :

  • doivent être prolongés jusqu’au 23 août 2020 (correspondant à la période juridiquement protégée augmentée de 2 mois).

Exemple tiré d’une circulaire de l’administration :

·         Un contrat a été conclu le 25 avril 2019 pour une durée d’un an. Il contient une clause de renouvellement automatique sauf si l’une des parties adresse une notification à son cocontractant au plus tard un mois avant son terme. Chaque partie avait donc jusqu’au 25 mars pour s’opposer au renouvellement.

=> Ce délai ayant expiré durant la période juridiquement protégée, le contractant pourra encore s’opposer au renouvellement du contrat dans les deux mois qui suivent la fin de cette période, soit jusqu’au 23 août  2020. 

2. Les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé.

Le texte opère une distinction selon que l’échéance des clauses tombe avant, pendant ou après la période juridiquement protégée : 

a) Les clauses ayant commencé à courir avant le 12 mars 2020

  • Reprendront effet dès le 24 juin 2020. 

Exemple tiré d’une circulaire de l’administration : 

·         Un contrat, comportant une clause pénale avec une sanction de 100 euros par jour de retard, devait être exécuté le 1er mars. L’exécution n’ayant pas été achevée à la date prévue, la clause pénale a commencé à produire ses effets le 2 mars mais sera suspendue entre le 12 mars et le 23 juin et recommencera à produire son effet le lendemain si le débiteur ne s’est toujours pas exécuté. 

b) Les clauses dont l’échéance tombe pendant la période juridiquement protégée 

  • Reprendront effet, à compter du 24 juin 2020, à l’issue d’un délai égal à la durée d’exécution du contrat écoulée pendant la période juridiquement protégée. 

Exemples tirés d’une circulaire de l’administration :

·      Un contrat conclu le 1er février 2020 devait être exécuté le 20 mars 2020, une clause résolutoire étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.

=> Les effets de la clause seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 12 et le 20 mars, ce report courant à compter de la fin de la période juridiquement protégée. Ainsi, la clause résolutoire prendrait effet le 2 juillet (fin de la période juridiquement protégée + 8 jours).

·      Un contrat conclu le 15 mars 2020 devait être exécuté avant le 1er mai 2020, une clause pénale prévoyant une sanction de 100 euros par jour de retard. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.

=> Les effets de la clause seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 15 mars et le 1er mai, ce report courant à compter de la fin de la période juridiquement protégée. Ainsi, la clause pénale commencerait à courir le 9 août (fin de la période juridiquement protégée + 1 mois + 16 jours). 

c) Les clauses dont l’échéance est prévue à une date postérieure à la fin de la période juridiquement protégée

  • Reprendront effet, à compter de la date à laquelle les astreintes et clauses auraient dû prendre cours ou produire effet en vertu du contrat, à l’issue d’un délai égal à la durée d’exécution du contrat écoulée pendant la période juridiquement protégée, 
  • Sauf s’agissant de clauses sanctionnant d’inexécution d’une obligation de paiement d’une somme d’argent. 

Exemples tirés d’une circulaire de l’administration :

·         Un contrat conclu le 1er février 2020 devait être exécuté le 1er juillet 2020, une clause résolutoire étant stipulée en cas d’inexécution à cette date. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.

=> Les effets de la clause résolutoire seront reportés d’une durée égale à celle de la période juridiquement protégée, ce report courant à compter du 1er juillet 2020. Ainsi, le report serait de 3 mois et 11 jours ; la clause résolutoire prendrait donc effet le 13 octobre 2020.

·         Un contrat conclu le 1er avril 2020 devait être achevé avant le 1er juillet 2020, une clause pénale prévoyant le versement d’une indemnité forfaitaire en cas d’inexécution. Le débiteur n’exécute pas le contrat à la date prévue.

=> Les effets de la clause pénale seront reportés d’une durée égale au temps écoulé entre le 1er avril et la fin de la période juridiquement protégée. Ainsi, le report serait de 2 mois et 22 jours à compter du 1er juillet 2020 et la clause pénale prendrait donc effet le 23 septembre. 

A noter :

  • Liberté contractuelle maintenue

Les parties restent libres (i) d’accomplir un acte dont le terme interviendrait pendant la période juridiquement protégée, ou (ii) d’écarter l’application de ces dispositions par des clauses expresses, ou de renoncer à s’en prévaloir. 

  • Effets

L’ordonnance permet de considérer que ne sera pas sanctionnée comme tardive l’exécution d’une obligation contractuelle qui serait réalisée dans le délai glissant prévu par ce texte. Toutefois, une demande de réparation de droit commun en cas de dommage prouvé pour le retard pourrait éventuellement être envisagée.

  • Contrat soumis à un droit étranger

Les pouvoirs publics considèrent que ces dispositions seraient applicables aux contrats soumis à un autre droit que le droit français. Ces règles seraient donc d’ordre public sous réserve de l’appréciation souveraine des juges.

  • Règles à revoir dans le cadre du déconfinement

Il convient de noter que les pouvoirs publics précisent que ces délais de report sont susceptibles de faire l’objet de modifications ultérieures au regard des mesures d’accompagnement de la fin du confinement et d’une reprise de l’activité économique plus rapide qu’initialement prévue.

[1] En application de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

 

Retrouvez toutes les contributions de nos avocats sur les mesures gouvernementales de soutien à l’activité économique, dans notre rubrique : Actualités.

Nos équipes sont mobilisées pour répondre à l’ensemble de vos questions. Vos contacts :

Droit Economique

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Melissa Ronzel, Avocat

Baux commerciaux

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A jour au 15 mai 2020

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Philippe WALLAERT

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